SAO PAULO (BRÉSIL) ENVOYÉ SPÉCIAL
Sur l'avenue Paulista, l'artère chic de Sao Paulo, les drapeaux rouges portent l'effigie de Marta Suplicy ; les verts celle de son adversaire, Gilberto Kassab, le maire de droite (DEM) sortant. A deux jours du second tour des élections municipales, dimanche 26 octobre, les sondages donnent à ce dernier 17 points d'avance.
Nul besoin de lire la presse pour voir d'où souffle le vent qui gonfle les bannières. Ce jour-là, près du parc Trianon, le maire arpente les trottoirs, accompagné d'une vingtaine d'handicapés en fauteuil roulant. Caméras, embrassades, sourires jusqu'aux oreilles. Un haut-parleur hurle un jingle saccadé : "On veut que Kassab reste à la mairie !" Sans oublier le "Kassabinho", la poupée géante, fétiche du candidat, qui ferme la marche.
L'atmosphère est beaucoup moins festive dans le camp d'en face. Place Arouche, dans le quartier Republica, un petit groupe de fidèles, portant T-shirt vermeil, scande le nom de leur idole : "Ole ! Ole ! Ola ! Marta ! Marta !" Ce sont des "motorboys", ces coursiers à deux roues qui dribblent les terribles embouteillages de la plus grande ville d'Amérique du Sud (11 millions d'habitants).
Mais - changement de programme - Marta ne viendra pas. Son adjoint, Aldo Rebelo, la remplace. Il promet de mieux protéger les motocyclistes dont les Honda s'alignent devant lui. Il évoque "la confiance" et "la sérénité" de la candidate, mais on sent qu'il n'y croit guère. Elle lancera le même jour dans un autre meeting : "Nous avons beaucoup de Pelé pour marquer des buts d'ici à dimanche." Pourtant, chacun le sait : il est trop tard pour "sauver le brave soldat Marta".
Marta Suplicy, 63 ans, appartient depuis sa fondation, en 1980, au Parti des travailleurs, le PT du président Lula. Issue d'une famille patricienne, psychologue de formation, elle anime dans les années 1980 un programme télévisé éducatif intitulé "Comportement sexuel". Femme d'un sénateur, elle occupe le fauteuil de maire de 2000 à 2004, et le perd. Lula la nommera ministre du tourisme.
Charmeuse, impulsive, elle est gaffeuse à l'occasion. Comme lorsqu'elle conseille en 2007 aux voyageurs inquiets du chaos dans le trafic aérien : "Relaxez-vous et profitez-en !" Elle est très proche de Lula qui fut, en 2003, le témoin de son second mariage. Le président a participé à plusieurs de ses meetings, a choisi son conseiller électoral, et dépêché près d'elle son chef de cabinet. Tout cela n'a pas suffi.
Gilberto Kassab, 48 ans, est d'une autre étoffe. Ingénieur et économiste, ce descendant d'une famille libanaise ne déborde pas de charisme. Mais c'est un gros travailleur, un gestionnaire méthodique qui se lève à 5 heures du matin pour lire la presse et envoyer ses premiers courriels. Il est l'archétype de la nouvelle classe urbaine brésilienne.
Sauf ultime coup de théâtre, il va gagner pour plusieurs raisons. Appuyé par les milieux d'affaires, il a injecté beaucoup d'argent dans sa campagne. Il a obtenu de ses alliés qu'ils lui cèdent leur temps de parole télévisée, et a su en tirer le meilleur profit en valorisant son bilan. Il est apparu avant le premier tour comme le plus crédible adversaire du PT.
Car, et c'est l'essentiel, Sao Paulo, berceau du parti de Lula, lui reste rétive. Dans la capitale économique du Brésil, un gros tiers de l'électorat vote contre le PT. Celui-ci n'a remporté la mairie, à deux reprises, que grâce à la division ou à l'essoufflement de ses rivaux. Aujourd'hui, la géographie électorale joue encore plus en faveur du maire sortant.
Vidée de son industrie, repoussée vers la périphérie, Sao Paulo est devenue une ville de services, où règne la classe moyenne. Comme le souligne le sociologue Francisco de Oliveira, la métropole abrite "un immense secteur informel où les travailleurs, en quête d'avantages immédiats, votent plutôt à droite". Très populaire au niveau national, Lula n'a pas le pouvoir de transfuser son propre prestige à sa protégée. Il lui restera loyal jusqu'à dimanche, mais n'a pas l'intention ensuite, note un journaliste brésilien, "de mourir dans les bras de Marta".
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